Du Québec aux mille collines


Alexandre Nkunduwimye na Grâce Mokansonera. Une maison à Busasamana.
23 novembre 2009, 20:18
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Par Justine Lévêque-Samoisette

Ma famille d’accueil, ma famille rwandaise. Le jour de mon arrivée, Sam et Didi, 6 et 4 ans, m’on sauté dans les bras. Ils ne me connaissaient pas encore, mes petits frères, mais ils m’accueillaient en grand, comme sont capables de le faire les enfants. Grâce, elle pleurait de joie en me serrant contre elle, et moi je faisais pareil, les jambes molles de tant d’amour soudain. Mafille et Mamie, les deux belles grandes rieuses, taquineuses. Elles ont 11 et 13 ans. Elles s’occupent des deux plus petits, les plongent dans la bassine à l’heure du bain, aident Grâce à la cuisine, elles vont à l’église le dimanche, à l’école la semaine, elles font le lavage, jouent à la corde à danser ou à la balle, chantent et rient. Elles sont belles. Comme leur mère.

Ma relation avec Grâce s’est construite en peu de mots mais avec l’essentiel des regards et des gestes. Elle parle kinyarwanda, je parle français. Mais nta kibazo, on a jasé pareil, avec les moyens du bord. Grâce a porté 5 enfants, 4 sont vivants aujourd’hui. Elle cultive ses champs, élève ses enfants, prie, rit et chante beaucoup elle aussi. À tous moments de sa belle voix claire.

Les plus belles soirées, ce sont celles que nous passions à la cuisine, Grâce, les enfants, Chantale la petite domestique et moi. À cuisiner, se raconter des histoires, rire avec les enfants et rire de leurs drôleries. Et j’ai chanté avec eux en kinyarwanda.

Ma famille a vécu le génocide. Elle est Tutsie, même si aujourd’hui on ne doit plus parler d’ethnie au Rwanda. Beaucoup des leurs ont disparu dans des histoires atroces. Mais Alexandre et Grâce continuent de vivre, de sourire, de rire et de chanter parce que c’est important pour les enfants, ils doivent apprendre le pardon et le vivre-ensemble.

Ma famille est belle. Et merci est un bien petit mot pour dire toute la reconnaissance que j’ai pour elle.



Leçon de vie, expresso
3 août 2009, 16:56
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Leçon de vie, expresso

En Afrique, en plein milieu de l’Afrique. Au Rwanda, en plein milieu, à Gitarama. Et en plein milieu de la rue, cette rue ocre dont la poussière fait rougir de honte nos vêtements dispendieux. Car de la poussière, il y en a: les camions ne laissent dans leur sillage que de la toux et des yeux qui piquent. Les oreilles, elles, ne s’en tirent pas à meilleur compte: l’assourdissante musique américaine, diffusée à tous azimuts par les disquaires, ne trouve de rival que dans le zézétement incessant des scooters et autres insectes à moteur. Paroxysme de cet exotique désagrément, une nuée d’enfants se rue sur ma peau occidentale pour la palper et s’accroche à mes cheveux dans l’espoir d’en ramener une touffe. De toutes parts leurs « bonjourrrrrrou » stridents m’assaillent, briment ma pudeur de « civilisé ». Ouais, je suis au beau milieu de l’Afrique, de la route, d’une horde infantile, et je crois que je vais péter un câble. La routine étant devenue d’endurer les « givé mi môni », ces morveux qui m’arrachaient le coeur hier, aujourd’hui je les enverrais bien valser dans le caniveau.
Mais je m’arrête soudain : un homme me salue. Du haut de ses 2000 ans, il me lève son chapeau en lambeaux, vestige d’une ancestrale couronne d’or. Car il n’est rien de moins qu’un roi, ce vieil homme : un roi déchu, détrôné par la modernité et la connerie humaine. Flottant dans son costard dépenaillé, armé de son bâton de bois – sceptre de jadis – il me sourit un « bonjour » posé et réfléchi pendant des siècles : peut-être est-ce la première et dernière fois qu’il aura à user de ce français qui lui fut imposé à la petite école. De son rictus, voici que se creusent sur ses joues des crevasses qui témoignent de l’Histoire elle-même. Mais sur ce noble musée ambulant, ce ne sont point les rides qui attirent le regard : un balafre, de l’œil au menton, nous rappelle notre infinie bestialité. Des tréfonds de sa défigure, deux perles noires scintillent, embrasées par la vie qui n’est pas prête à quitter cet être. Deux perles noires qui reflètent malgré tout le chagrin immortel de la mort. Des siens, de tous les siens.
Cette cicatrice, immuable soit-elle, n’est rien. Car il est de ces plaies, invisibles soient-elles, qui ne se referment jamais. Et qui ne le doivent pas.

Que suis-je, donc
Vulgaire avorton vierge de vécu, saturé de vices
A vagir d’une simple bouffée d’air viciée ?

par Antoine B.-Duchesne



AVEGA
30 juillet 2009, 12:35
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Par Pascale Allain

Mardi dernier, nous partîmes direction Bugesera afin de visiter le mémorial de Nyamata, une église ou plus de 10 000 tutsis furent tués en 1994. C’est avec cette idée en tête que nous allâmes ensuite rencontrer l’Association des veuves du génocide (AVEGA), organisation se trouvant à Kigali.

« Les tueurs visaient principalement les hommes et les garçons, de manière que les rescapés sont majoritairement des veuves. Les veuves qui ont pu survivre de cette tragédie présentent pour la plupart des blessures ou cicatrices de machettes et des maladies chroniques. Une recherche menée par AVEGA sur les violences perpétrées contre les femmes en 1999 a montré que sur 1125 veuves isolées, 80% sont traumatisées et 67% sont atteintes du VIH-Sida. Les témoignages révèlent que les génocidaires atteints de VIH-Sida violaient les femmes tutsis avec la volonté ferme de les contaminer ».

Cela étant, les veuves du génocide souffrent bien souvent d’handicaps physiques et de problèmes psychologiques. AVEGA a donc décidé de mettre sur pied différentes initiatives, dont la principale étant un centre psycho médical pour les veuves. En allant au centre de santé, les rescapées peuvent bénéficier de soins gratuits, tant pour le traitement du VIH que pour d’autres ennuis de santé. Tout autrement, les membres disposent aussi d’un service d’assistance juridique gratuit. Les veuves sont donc en mesure de pouvoir entreprendre des démarches juridiques plus facilement.

De plus, étant donné que le but ultime d’AVEGA est d’aider les membres à se réinsérer socialement et économiquement, l’organisation fournit de l’aide pour la construction de maisons pour les veuves et les orphelins du génocide. En effet, encore aujourd’hui, plusieurs veuves ne disposent pas d’une maison leur appartenant. AVEGA appui aussi les orphelins du génocide en leur fournissant les ressources financières nécessaires afin qu’ils puissent acheter leur matériel scolaire.

Au départ, AVEGA, c’était l’association de 50 veuves rescapées au lendemain du génocide. Aujourd’hui, 15 ans plus tard, plus de 25 000 femmes en sont membres. AVEGA, c’est l’une des solutions qu’elles ont trouvées afin de pouvoir parler librement de leur traumatisme avec d’autres femmes qui les comprennent. Comme le disait la secrétaire exécutive de l’organisation, « AVEGA, c’est le cadre que les veuves se sont données pour pouvoir parler de leurs « mauvais secrets » ».



Gros comme un éléphant
23 juillet 2009, 13:53
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Par Myriam Larouche Tremblay

Les éléphants sont mon animal préféré. Ils ont une trompe, voilà tout. Avec, ils peuvent cueillir une fleur ou déraciner un arbre. Ils ont de grandes oreilles aussi. Et ils sont intelligents. Les éléphants d’Afrique sont mes éléphants préférés. « Il n’y a que quelques éléphants au Rwanda », me disait un jour une Rwando-Québécoise; « le Rwanda, c’est petit, et les éléphants, ils n’auraient pas de place ». Il y a environs une centaine d’éléphants au Rwanda, dit-on. Les femmes du COCOF en ont vu une soixantaine, l’an passé, au Parc Akagera. Mais tant que je ne les aurais pas vus, je n’y aurais pas cru.

UN éléphant, que nous avons vu. Vous auriez dû me voir, ou m’entendre. D’abord, sa trompe est sortie tout droit des bois. Il était dans la forêt. Assez dense, même. Il était caché. Je me suis mise à crier alors nous n’avons pas pu arrêter, « parce qu’il faut rester calme, sinon il peut nous charger avec sa trompe ». On est dix dans le 4X4 et la trompe seule de l’éléphant est plus grosse que notre véhicule. Calmés, on est revenus. Plus d’éléphant. Et on est passés, et repassés, plus là… J’étais triste. Comment un éléphant aurait-il pu nous faire du mal? Alors là, deux hommes en motocyclettes, des guides du Parc. Ils disent : « Insovu araguie Kumwa amazi » J’ai compris : l’éléphant est parti boire de l’eau, par là, au Lac. On va au Lac. Pas d’éléphant. Même pas le bout de sa trompe, ou une petite fontaine quelque part… Nous avons parcouru un peu le rayon de même pas un kilomètre pour le trouver. Mais c’est gros comme une maison, un éléphant, comment peut-il se cacher?

Mais il est timide Umutware. Parce que c’est comme ça qu’il s’appelle. S’il n’est pas loin dans les marais avec son troupeau, c’est qu’il en a été rejeté. Il s’est battu, un jour, avec les autres mâles, et ses défenses sont tombées. Depuis, il est en solo. Le Parc est assez grand pour un troupeau et lui. Ils ne se rencontrent pas. Umutware, ça veut dire roi. Ce sont les guides qui l’ont appelé comme ça. On dit que pendant le génocide, il s’est fait tirer dessus. Mais pour l’instant, on ne le voit même pas, Umutware.

Des hippopotames. Bien-sûr, on cherche un éléphant et on trouve des hippopotames… Ils rient de nous, même, on dirait. Ils sortent de l’eau, prennent un respire et rient à gorge déployée, alors que nous, on cherche un éléphant dans une botte de foin. Ils sont drôle, ces moqueurs. Et là — j’ai même pris des photos d’hippopotames, puisque je n’y croyais plus, à l’éléphant — et là, le voici. Umutware, avec ses oreilles gigantesques, s’avance… Nous, on est dans le véhicule, mais les gars qui travaillent dans le parc, ils vont se réfugier sous une petite pergola. Et il semble que l’éléphant leur parle. Il s’approche d’eux, et les touche avec sa trompe. Ils ont peur, alors ce n’est pas un manège, un jeu pour attirer les touristes. C’est du sérieux. Et là, il se met à agiter les oreilles en avançant lentement. Apparemment, ça veut dire, en langage de pachyderme : « foutez le camp d’icitte, ou je vous zigouille avec ma trompe ». Semble même qu’une fois, il a renversé le véhicule du consul de France… C’est un éléphant politisé, je crois. Il a vécu le génocide, alors lui aussi, il en a contre les Français. Je dis ça parce que quand il a soulevé ses oreilles, on l’a vu, le trou de balle. Ça avait l’air petit, même banal, sur un éléphant, mais quel paradoxe. Je ne sais pas qu’est-ce qu’il a fait pour s’attirer les foudres des génocidaires, mais il l’a, sa médaille de guerre. Il a quarante-deux ans, plus de défenses, un trou de balle. Et là, sur la photo, il a l’air triste. Il fait comme si on n’était pas là.

Je sors. Avec papouï, mon éléphant bonzaï. Le temps d’un clic. Et deux, et trois, comme ça, en imitant la trompe. Et puis il se retourne, et il refait le truc avec les oreilles, et tout le monde s’agite, et on doit « vite, vite, retourner dans le véhicule ». Alexandre démarre, et on se casse. Ouf. « Ça court vite un éléphant?» « Oh oui », dit le guide. Et là on revient et puis Umutware, il fait pleins de trucs. Il prend un pneu sur le toit de la maison, et il joue avec un peu. Il mange les fleurs autour du bâtiment, il se met du sable sur le dos, et il boit de l’eau dans le robinet… Euh. Eh! Oui, il a fait ça, il a bu de l’eau dans le robinet. Il y a un lac, là, mais Umutware il préfère l’eau courante…

Et puis c’est le temps de partir. On est chanceu(se)x parce que vraiment, les gens du Parc, ils ont l’air complètement apeurés. C’est toute une affaire, Umutware qui se pointe comme ça, sur le chantier.

C’est qu’il savait que j’étais là. « Va-t-elle revenir au Rwanda une troisième fois? » S’est-t-il dit. Et moi aussi, je me demande.



Histoire de brochettes
22 juillet 2009, 13:48
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Par Mélodie Grenier

Je dois être complètement folle!
Hé oh, ce n’est tout de même pas ma faute, la chèvre est tellement belle puis Mmmm…tellement délectable en même temps.
Je les mange ces brochettes de chèvre, qu’elles soient salées, épicées, avec ou sans frites, bien ou trop cuites. Je vous dis que mon petit monde s’est bien foutu de moi le jour où j’ai sauté un plomb.
Non mais comment peut-on supporter de voir cette petite bête marcher droit vers la mort sans avoir une haine envers celle-ci, la mort grrrr! Elle crie, je l’entend, je la vois, toute blanche avec ses petites oreilles. Elle est assez dodue pour nourrir l’estomac de 9 abazungu certes, mais ce n’est pas nécessaire de mourir pour ça non!
Et moi, je pleure comme une petite fille qui vient d’apprendre la vérité sur comment est faite la viande. C’est décidé, je ne veux plus de ces deux brochettes que je viens tout juste de commander. Je demande à Justine d’annuler ma commande. « Je ne veux pas manger Bikette un point c’est tout. Je veux mes frites et ma salade. » On n’en reparle plus, le sujet est clos.
Le dîner arrive deux heures plus tard, avec Bikette embrochée sur des bâtons de bois que mon petit monde s’est quand même commandé malgré ma crise de larmes. Et moi, j’attends mon assiette PLATTE de frites. Tout le monde mange avec appétit tandis que moi, je rumine devant mon assiette PLATTE! Le chef a préparé quatres brochettes de trop, quel drôle de hasard! Les regards se croisent à savoir qui pourra les manger et puis moi, je me lance dans un « heu j’ai trop faim, pis les brochettes c’est trop bon. Est-ce que je peux les manger? » L’hilarité s’empare de mon petit monde pendant que je croque à belles dents dans cette chair justeuse et fort délicieuse.
Par chance, ce sont les meilleures que nous avons mangées depuis le début. Et dire que je voulais devenir végétarienne… Ce sera pour une prochaine fois!